Joséphine - Chapitre 12 — Épilogue : D’Alsace à l’Algérie, jusqu’à Chicago
Ils n’ont jamais vécu dans le même pays.
Ne se sont jamais retrouvés autour d’une même table.
Et pourtant, leurs destins se répondent — comme les échos d’une même voix à travers le temps.
Marie-Louise, à Colmar, tenait la maison, les enfants, la terre.
Elle avait choisi la stabilité, la continuité.
Dans sa cuisine, le feu brûlait chaque matin ; dans ses bras, cinq enfants grandissaient sous le regard bienveillant d’un père.
Elle avait été la gardienne, celle qui reste quand les autres partent.
Et dans sa maison d’Alsace, le nom de Joséphine, leur mère, n’était jamais prononcé sans douceur.
À des milliers de kilomètres de là, Joséphine, la sœur aînée, vivait sous le soleil d’Algérie.
Le vent chaud de Mustapha faisait frémir les volets de la maison blanche.
Ses deux filles, Eugénie et Joséphine, couraient dans la cour où fleurissaient les géraniums et le jasmin.
Là-bas, le souvenir de Colmar n’était plus qu’un fil ténu, un accent dans la voix, une chanson d’enfance murmurée au moment du coucher.
Mais la lignée continuait, vivante, enracinée dans une autre lumière.
Et de l’autre côté de l’océan, Jean-Jacques, le frère, regardait les gratte-ciel de Chicago grandir comme des vignes d’acier.
Dans le vacarme des usines, il gardait la patience des cultivateurs.
Chaque soir, il rentrait chez lui avec la même habitude : poser la main sur une photo usée, celle d’une femme en robe sombre tenant un enfant endormi.
Il ne priait pas.
Il se souvenait.
Trois enfants.
Trois terres.
Trois chemins d’un même sang.
Ils avaient grandi dans le silence laissé par une mère morte trop tôt — cette jeune ouvrière de Colmar qui avait tant aimé, tant espéré, et qui avait cru, malgré la pauvreté et la honte, en la force de la vie.
Elle ne les avait pas vus devenir adultes.
Mais ils avaient tous porté, chacun à leur manière, la flamme de son courage.
Les décennies ont passé.
Le monde a changé.
Les guerres ont traversé les continents, les frontières ont bougé, les noms ont parfois disparu des registres.
Mais la trace, elle, demeure.
Dans un prénom transmis, dans un regard, dans une façon d’aimer sans éclat mais sans faille.
Et si, un soir, on levait la tête vers le ciel — celui de Colmar, d’Alger ou de Chicago — on verrait peut-être les mêmes étoiles.
Celles qui veillent sur les vivants comme sur les morts,
et qui murmurent encore, dans le langage du vent :
“Rien n’est perdu.
Les racines voyagent aussi.”

Commentaires
Enregistrer un commentaire