Joséphine - Chapitre 2 — Deux filles et des murmures
Le printemps était revenu sur Colmar.
Les eaux de la Lauch coulaient à nouveau vives, charriant des reflets d’or et d’azur. Les vignes alentours verdissaient, et les ruelles sentaient la terre humide et le linge fraîchement lavé.
Dans la petite maison de la rue du Nord, Joséphine Keyser se levait avant l’aube.
Elle faisait chauffer un peu d’eau sur le poêle, lavait les langes, puis partait travailler à la fabrique.
Sa mère gardait la petite Joséphine, trois ans à peine, qui babillait en l’attendant.
Mais ce printemps-là, la jeune femme sentait à nouveau le poids du secret.
Un ventre qui s’arrondissait, un souffle plus court, des nausées qu’elle ne pouvait plus cacher.
Encore une fois, sans père déclaré.
— Joséphine… soupira sa mère, en déposant la main sur son bras.
— Maman, je sais.
— Tu ne peux pas recommencer…
— Ce n’est pas un choix. C’est la vie.
Dans les rues, les voisines parlaient bas.
« Deux enfants, sans mari… quelle honte. »
Les hommes tournaient la tête, les femmes la désignaient du coin de l’œil.
Mais Joséphine n’avait plus peur.
Son regard avait changé.
Elle travaillait sans relâche, fière, droite, résolue à donner à ses filles ce qu’elle n’avait jamais eu : une place, un nom, un avenir.
En novembre 1857, Marie-Louise vint au monde.
Un cri bref, un souffle, puis le silence apaisé d’un nouveau-né blotti contre elle.
Deux filles désormais, deux petits visages à aimer plus fort que tout.
Les années qui suivirent furent rudes.
L’hiver mordait les doigts, les jours de paie étaient maigres, et les dettes s’accumulaient.
Mais dans cette pauvreté, il y avait des moments de grâce :
les rires d’enfants dans la cour, les soirs d’été sur le pas de la porte, et cette lumière dorée qui baignait les pavés de Colmar.
Parfois, Joséphine rêvait.
Pas d’amour — elle n’y croyait plus vraiment — mais d’un homme bon, simple, capable d’aimer ses filles comme les siennes.
Un homme qui ne la jugerait pas.
Ce rêve semblait fou, presque impossible.
Pourtant, la vie, une fois encore, allait la surprendre.
Car dans les vignes du nord de Colmar, un vigneron au regard doux et aux mains calleuses l’observait depuis quelque temps.
Il s’appelait Jean Wiederhirn.
Et sans le savoir encore, il allait changer à jamais le destin de Joséphine et de ses enfants.
Chapitre 3 - L'homme du vignoble

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