Joséphine - Chapitre 5 — L’hiver des berceaux
L’année 1865 s’annonçait rude.
Le vent descendait des Vosges, glacial, sec, mordant.
Les feuilles mortes s’amassaient contre les murs, et les toits de Colmar semblaient plus sombres qu’à l’accoutumée.
Dans la petite maison des Wiederhirn, la vie s’était ralentie.
Depuis des mois, Joséphine sentait la fatigue peser sur ses épaules.
Son corps, éprouvé par les grossesses, peinait à retrouver des forces.
Mais elle ne se plaignait jamais.
Chaque matin, elle se levait avant le jour, préparait la soupe, aidait Jean à nouer sa veste, embrassait les enfants encore endormis.
C’était sa manière à elle de tenir, de lutter, de vivre.
En janvier 1865, elle mit au monde un petit garçon, Jean Michel.
Un bébé fragile, au souffle court, à la peau pâle.
Joséphine passa des nuits entières à veiller son berceau, écoutant sa respiration irrégulière, priant sans le dire.
Mais au cœur de l’été, un matin chaud de juillet, l’enfant s’éteignit doucement, sans un cri.
Le silence qui suivit fut terrible.
La maison sembla se vider de sa lumière.
Jean posa une main sur l’épaule de sa femme, sans trouver les mots.
Elle, droite, le regard fixe, murmura simplement :
— Il ne faut pas pleurer devant les filles.
Mais au fond d’elle, quelque chose se brisa.
Elle reprit le travail des jours, mais son sourire s’était éteint.
La foi, elle, se mit à vaciller.
Quelques mois plus tard, elle retomba enceinte.
La nouvelle, loin de la réjouir, l’inquiéta.
Elle sentait son corps lui résister, sa force s’effriter.
Jean, plein d’espoir, parlait d’un garçon, d’une maison plus grande, de jours meilleurs.
Joséphine, elle, gardait le silence.
Le 11 mars 1866, elle mit au monde deux jumeaux, Henri et Michel.
Deux petits êtres minuscules, qu’elle serra contre elle avec ferveur.
Mais la vie, encore une fois, fut cruelle.
Un mois plus tard, les deux enfants moururent à quelques jours d’intervalle.
Trois berceaux, trois silences.
Trois petits visages qui s’effaçaient dans la mémoire d’une mère au cœur brisé.
Et pourtant, malgré la douleur, elle continua.
Pour ses trois vivants : Joséphine, Marie-Louise et Jean-Jacques.
Pour eux, elle se redressait chaque matin, marchait, souriait, s’efforçait de croire.
Mais son corps n’en pouvait plus.
En septembre 1867, elle entra à nouveau en travail.
Une dernière fois.
Le dernier-né ne vivra pas.
Et dans la même journée, Joséphine s’éteignit, à 31 ans, dans la petite maison de Colmar.
Le soir, Jean resta longtemps assis à côté d’elle.
Dehors, les vignes prenaient leurs teintes d’automne.
Le vent passait dans les feuilles, comme un murmure ancien.
Sur la table, trois assiettes attendaient encore.
Dans le silence du crépuscule, il leva les yeux vers le ciel et murmura :
— Repose-toi, Joséphine… je veillerai sur eux.
Chapitre 6 - Joséphine, la fille du silence

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