Joséphine - Chapitre 8 — Sous le soleil de Mustapha



Les années passèrent, légères et dorées comme la poussière qui flottait dans les rues de Mustapha.

La petite maison blanche de Joséphine et Jean dominait la mer.
Chaque matin, le soleil s’y glissait sans frapper, inondant la pièce d’une clarté chaude.
Les volets s’ouvraient sur un jardin minuscule où poussaient des géraniums, quelques vignes maigres et un citronnier tordu.

Les deux fillettes grandirent là, sous le regard aimant de leurs parents.
Eugénie, l’aînée, fine et sérieuse, portait déjà dans ses yeux clairs quelque chose de sa mère : la douceur mêlée à une certaine mélancolie.
Joséphine, sa cadette, vive, rieuse, plus téméraire, courait toujours pieds nus sur les dalles brûlantes, les cheveux emmêlés par le vent du large.

Le matin, on les voyait descendre jusqu’à la fontaine avec un seau chacune, bavardant, riant, se disputant pour un rien.
Les voisins les appelaient “les petites d’Alsace”, parce que leur père, dans un mélange de fierté et de nostalgie, racontait souvent son pays : les vignes, la neige, les maisons à colombages.
Mais pour les fillettes, l’Alsace n’était qu’un mot lointain, une image racontée au coin du feu, quelque part de l’autre côté de la mer.
Elles, elles connaissaient la lumière d’Afrique, les cris du port, les senteurs d’oranger et de menthe.

Jean travaillait dur.
Ses mains, tannées par le soleil, portaient les marques du ciment et des pierres.
Chaque soir, il rentrait couvert de poussière, mais son regard s’éclairait dès qu’il apercevait les deux petites courir vers lui.
Joséphine, elle, tenait la maison, cousait pour les familles du quartier, faisait sécher le linge sur la terrasse et préparait, le dimanche, un repas simple où tout le monde riait.

Malgré la chaleur, malgré la distance, le bonheur s’était installé là — humble et solide, comme les murs blanchis de leur foyer.

Mais parfois, quand la nuit tombait, Joséphine s’asseyait sur le seuil et regardait le ciel.
Les étoiles d’Afrique ne ressemblaient pas à celles d’Alsace.
Elles semblaient plus proches, plus vastes.
Et dans leur éclat silencieux, elle croyait revoir le visage de sa mère, celle qu’elle avait si peu connue.
Alors elle fermait les yeux, murmurait une prière, et pensait à la lignée de femmes qui l’avaient précédée : Marie-Anne, Joséphine, elle-même.
Trois générations, trois destins liés par la perte et le courage.

Eugénie grandit vite.
À treize ans, elle aidait déjà sa mère, cousant à ses côtés, attentive et délicate.
Joséphine, la cadette, plus espiègle, préférait courir jusqu’à la mer, rapporter des coquillages, remplir ses poches de sable.
Leur rire emplissait la maison.

Et Jean, assis le soir dans la cour, les regardait en silence, la pipe au coin des lèvres, le cœur gonflé de fierté.
Il se disait qu’il avait réussi ce que tant d’autres n’avaient pu : offrir un foyer à deux âmes venues du silence.

L’Algérie de ces années-là était pleine de promesses, mais aussi d’incertitudes.
Les colons parlaient d’avenir, les anciens parlaient de racines.
Jean, lui, n’avait qu’une certitude : ici, dans cette maison simple, ils avaient recréé une Alsace du cœur.

Et chaque matin, quand le soleil frappait les murs, Joséphine se souvenait du froid de Colmar, de la neige qu’elle avait quittée.
Elle souriait.
Car dans la chaleur de Mustapha, elle avait trouvé ce que sa mère n’avait jamais eu :
une vie entière, une famille soudée, et deux filles promises à l’avenir.


Chapitre 9 — Marie-Louise, la sœur restée au pays

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