Les Aguilar : Chapitre 2 – Le mariage de Maria Antonia
L’année 1845 s’ouvrait sous un ciel clair. À Orba, les orangers en fleur parfumaient la vallée, et l’église du village s’ornait pour un jour exceptionnel : Maria Antonia Aguilar, vingt-deux ans, allait se marier avec Bartolomé Sont.
Dans la petite maison familiale, les voisines s’affairaient autour de la jeune mariée.
— « Maria Antonia, tiens-toi droite, que ton voile tombe bien ! » disait l’une en épinglant le tissu.
— « Elle est belle comme la Vierge ! » chuchota une autre en lissant les plis de sa robe.
Maria Antonia souriait timidement, le cœur battant. Sa mère, Josefa, l’observait avec des yeux brillants.
— « Tu es prête, ma fille. Que Dieu te donne le bonheur que nous n’avons pas toujours connu. »
Elle posa une main rugueuse, mais tendre, sur son bras.
À l’église, les cloches sonnaient à toute volée. Le marié, Bartolomé, attendait devant l’autel, le visage grave mais adouci par l’émotion. Quand il vit Maria Antonia entrer, il esquissa un sourire.
— « Tu es belle, Maria… » murmura-t-il lorsqu’elle le rejoignit.
— « Et toi, tu es mon avenir. » répondit-elle en baissant les yeux.
Le prêtre prononça les vœux en latin, et les « Sí, lo quiero » des époux résonnèrent comme une promesse. À la sortie, la place du village s’embrasa de chants et de danses. Les guitares entonnèrent une jota, des enfants lançaient des pétales d’oranger. José Aguilar, le père de la mariée, leva son verre :
— « À ma fille et à son mari ! Que la vie leur soit douce et longue ! »
Mais la vie se montra cruelle.
Quelques mois plus tard, la maison où vivaient Maria Antonia et Bartolomé résonnait de silence et de prières. Bartolomé, alité, était brûlant de fièvre. Maria Antonia trempait un linge dans l’eau fraîche et le posait sur son front.
— « Tiens bon, Bartolomé… tu dois guérir. »
Il esquissa un sourire faible.
— « Si Dieu le veut… mais promets-moi de ne pas perdre courage. »
Josefa entra, portant un bol de décoction d’herbes.
— « Bois, mon fils. La voisine dit que cela apaise la fièvre. »
Bartolomé détourna la tête, trop faible. Maria Antonia, les larmes aux yeux, lui prit la main.
— « Ne me laisse pas… je t’en supplie. »
En février 1845, les cloches sonnèrent à nouveau, mais cette fois pour un glas. Dans les rues d’Orba, Maria Antonia, toute vêtue de noir, suivait le cercueil de son mari. Les voisins, muets, s’écartaient sur son passage. Une voisine souffla à l’autre :
— « Pauvre enfant… à son âge, déjà veuve. »
De retour à Murla, José et Josefa comprirent que ce deuil changeait tout. José, la voix grave, dit un soir :
— « Ici, il n’y a rien pour elle, ni pour nous. Il faut partir, Josefa. »
Sa femme hocha la tête, serrant les mains de sa fille.
— « Oui… peut-être qu’au-delà de la mer, Dieu nous offrira une nouvelle chance. »
C’est dans ce silence lourd, entre chagrin et espoir, que naquit l’idée de quitter l’Espagne.

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