Les Aguilar : Chapitre 3 – La décision du départ

 


L’hiver s’achevait à Murla. Dans la petite maison des Aguilar, le feu de bois crépitait faiblement dans l’âtre. Josefa surveillait la marmite où bouillait une soupe maigre, tandis que les enfants, José (19 ans), Joaquina (13 ans) et Antonio (8 ans), s’étaient serrés autour de la table. Maria Antonia, encore vêtue de noir, filait du lin sans dire un mot.

Le silence pesait. Enfin, José, le père, brisa la lourdeur de la pièce.
« Nous ne pouvons pas rester ici. »

Tous levèrent les yeux vers lui. Son visage tanné par le soleil semblait plus grave que jamais.

« Regarde Maria… » dit-il en désignant sa fille aînée. « À vingt-deux ans, veuve déjà… Et toi, Josefa, tu sais comme moi que dans ce village, il n’y a ni travail, ni avenir. »

Josefa hocha lentement la tête, sans cesser de remuer la soupe.
« Tu as raison. Ici, on survit… à peine. »

Maria Antonia, la voix tremblante, osa parler.
« Mais où irions-nous ? Je n’ai plus rien, plus de mari, plus de maison à Orba. Si nous partons, que trouverons-nous ? »

José se redressa, ses yeux brillants d’une lueur nouvelle.
« Au-delà de la mer. À Alger. On dit qu’il y a du travail pour tous : construire, blanchir, cultiver. Des familles entières partent déjà d’Alicante et de Dénia. Pourquoi pas nous ? »

Le jeune José, dix-neuf ans, intervint aussitôt.
« Père a raison ! Je suis fort, je peux travailler la terre, porter des pierres, tout ce qu’ils demanderont ! »
Ses yeux étincelaient d’un mélange d’impatience et de fierté.

Mais Joaquina, à peine treize ans, s’accrocha au bras de sa mère.
« Mère, je ne veux pas quitter Murla… Ici, je connais tout : la fontaine, l’église, les voisines… Là-bas, ce sera un pays étranger ! »

Antonio, huit ans, les yeux ronds, demanda timidement :
« Et la mer ? Est-ce qu’elle est grande ? »
Maria Antonia esquissa un sourire triste et caressa sa tête.
« Oui, très grande, petit frère. Mais si nous la traversons ensemble, tu n’auras pas peur. »

Josefa se tourna vers son mari, le regard ferme.
« Tu es sûr de toi, José ? Tu n’as plus vingt ans. Là-bas, il faudra travailler plus dur encore. »
« Ici, c’est la misère qui m’achèvera. Là-bas, au moins, nous aurons une chance. »

Un silence s’installa. On entendait seulement le feu qui craquait et le souffle du vent qui s’engouffrait sous la porte. Puis Josefa posa la cuillère, essuya ses mains sur son tablier et dit d’une voix basse mais déterminée :
« Alors, préparons le chariot. »

Maria Antonia baissa les yeux. Ses mains tremblaient sur le fuseau. Elle savait qu’en franchissant la mer, elle laisserait derrière elle non seulement Bartolomé, mais tout ce qu’elle avait connu. Pourtant, dans son cœur meurtri, une étincelle d’espérance se rallumait.

Chapitre 4 – Le voyage et la mer

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Meriem - La femme du jardinier

Les Aguilar – Chronique d’un exil (1845–1850)

Joséphine – Les racines du courage