Les Aguilar : Chapitre 5 – Alger, Bab El Oued



Le navire glissait lentement dans le port d’Alger, encore enveloppé d’une brume légère. À mesure que l’aube dissipait le voile de la nuit, la ville se révélait : une côte blanche et lumineuse, hérissée de minarets et de toits plats, adossée aux collines verdoyantes. Les cris des marins résonnaient, les chaînes raclaient le bois, et l’odeur du sel se mêlait déjà à celle, entêtante, du poisson et du goudron.

Maria Antonia, les mains serrées contre la rambarde, retenait son souffle.
« C’est donc ici… » souffla-t-elle.
Son frère José, les yeux brillants, ajouta :
« Père avait raison : c’est une terre de promesses. »

Mais Josefa, la mère, fixait la foule bigarrée qui grouillait sur les quais : soldats français en uniforme, marchands arabes enturbannés, familles italiennes ou espagnoles débarquant avec leurs ballots. Elle serra plus fort la main de Joaquina.
« Promesses… peut-être. Mais aussi épreuves. »

Ils descendirent la passerelle, le cœur battant. À chaque pas, leurs chaussures heurtaient les planches poisseuses du quai. Antonio, effrayé, tirait sur la jupe de sa sœur.
« Maria, ces hommes parlent une langue que je ne comprends pas ! »
« Ce n’est pas grave, » répondit-elle doucement. « Nous apprendrons. »

Dans les ruelles proches du port, la confusion régnait : charrettes qui s’entrechoquaient, vendeurs criant leur marchandise en arabe, en espagnol, en italien, en français. Des ânes portaient des paniers de figues, des enfants couraient pieds nus en riant, et l’odeur du café grillé s’échappait des tavernes.

Les Aguilar suivirent d’autres familles espagnoles vers le quartier de Bab El Oued, un faubourg populaire au nord de la ville. Les maisons, plus modestes que celles de la Casbah, s’alignaient en blocs simples, blanchis à la chaux, percés de volets en bois. On y parlait surtout l’espagnol et l’italien, les cris des voisins se croisant d’une fenêtre à l’autre.

Le soir venu, José, le père, s’assit sur une caisse dans leur logis provisoire, une pièce nue prêtée par un compatriote.
« Nous voilà installés, » dit-il, essoufflé.
« Installés ? » répondit Maria Antonia avec un sourire amer. « Il n’y a qu’un toit et des murs. »
« C’est un début, ma fille, » souffla Josefa. « Et demain, nous chercherons du travail. »

Dans le silence qui suivit, on entendait les bruits du quartier : une guitare au loin, des voix chantant une habanera, des pleurs d’enfant. Alger, la ville inconnue, commençait déjà à les envelopper.

Cette nuit-là, Maria Antonia, couchée sur une paillasse, resta éveillée longtemps. Dans ses pensées se mêlaient le visage de Bartolomé, laissé à Orba, et l’avenir incertain qui s’ouvrait ici. Elle ferma les yeux et murmura :
« Que Dieu nous donne la force de recommencer. »

Chapitre 6 – Les premiers travaux

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