Les Aguilar : Chapitre 7 – L’hospice, le deuil, et la poussière des jours


L’hiver 1847 s’installait à Alger. Dans les ruelles de Bab El Oued, le vent marin apportait une odeur de sel et de fumée. Maria Antonia, encore vêtue de noir, croisait souvent Jean-Benoît Chaverondier au marché. Peu à peu, les échanges se firent plus fréquents.

Un soir, Josefa surprit sa fille rêveuse, les mains immobiles sur son ouvrage.
« Tu penses à lui ? »
Maria baissa les yeux.
« Il est… différent. Mais je crains que tout aille trop vite. »
Josefa posa une main sur son bras.
« Ma fille, la vie est courte. Si Dieu t’offre une nouvelle chance, saisis-la. »

Quelques semaines plus tard, Maria confia son trouble à sa mère :
« Mère… je me sens changée. Mes règles ne viennent plus. »
Josefa resta silencieuse un instant, puis hocha la tête.
« Alors il faut agir vite. »

Le 11 janvier 1848, Maria Antonia épousa Jean-Benoît. Le mariage, célébré dans l’église d’Alger, sembla précipité aux yeux de certains, mais la famille savait que derrière cette hâte se cachait déjà une promesse de vie nouvelle.


L’été suivant, dans la petite maison de Bab El Oued, les murs résonnèrent d’un cri d’enfant. Le 30 août 1848, Maria mit au monde une fille : Marie Hélène Augustine. Josefa la prit dans ses bras avec des larmes de joie.
« La première née ici, en Algérie… Elle est notre avenir. »

José, le père, affaibli par la toux, s’approcha du berceau. Ses mains tremblaient, mais il tenait à la voir.
« Regarde-la, Maria… Elle porte en elle la force de deux terres. L’Espagne et cette Algérie nouvelle. »


Quelques mois plus tard, en janvier 1849, José, le fils, épousa Rita Ferrando, une Espagnole venue d’Alicante. Le cercle familial s’élargissait, et malgré la pauvreté, l’espérance grandissait : les Aguilar ne disparaissaient pas, ils s’enracinaient.

Mais l’automne 1849 apporta son ombre. La santé de José père déclina brutalement. Les quintes de toux, la fatigue, puis l’hospice.

Un soir, Maria vint le voir, tenant sa petite fille contre elle.
« Père, tenez bon. Elle a besoin de vous. »
Il lui sourit, caressant faiblement la joue du bébé.
« Non, Maria… c’est vous qui devez tenir. Moi, j’ai déjà donné. Mais elle… elle est l’avenir. »

Le 12 octobre 1849, il s’éteignit à l’hospice d’Alger.


De retour à la maison, la famille se rassembla autour d’une bougie. Antonio, le plus jeune, regardait sa sœur bercer l’enfant.
« Qui racontera son histoire à la petite ? » demanda-t-il.

Maria embrassa doucement sa fille et répondit :
« Nous tous, Antonio. Elle saura d’où elle vient, et que notre père a traversé la mer pour elle. »

Josefa, la voix tremblante mais ferme, conclut :
« Il est parti. Mais il vit dans chacun de nous, et dans ce berceau. Voilà notre espérance. »

Les Aguilar - Chapitre 8 – Entre deux mondes

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