Marie - Chapitre I — Les adieux

 


Ambialet, hiver 1871

Le vent traverse la vallée, soulève la poussière et frappe la porte de la maison de pierre.
À l’intérieur, la flamme vacille dans l’âtre. Marie tient la main froide de sa sœur.
Joséphine respire mal, sa poitrine monte et descend dans un souffle irrégulier.
Le médecin est reparti depuis longtemps.

Bois un peu, murmure Marie, en approchant la cuillère.
Mais Joséphine détourne la tête. Ses lèvres sont sèches, son regard déjà loin.

Tu sais, j’ai rêvé que je partais, moi aussi… dit la jeune fille d’une voix éteinte.
Tais-toi, ne dis pas ça. Tu vas guérir.
Non. Tu partiras à ma place, toi.

Marie reste immobile, la cuillère suspendue dans l’air.
Le silence tombe, juste troublé par le crépitement du feu.
Dans la pièce voisine, leur mère pleure en silence.

Quand le jour se lève, Joséphine ne respire plus.
Et Marie, droite près du lit, sent qu’une partie d’elle vient de mourir avec sa sœur.


Au printemps, la terre du Tarn se couvre de genêts.
Les hommes sèment, les femmes lavent le linge au ruisseau, et la vie continue, comme si rien n’avait changé.
Mais Marie, elle, ne dort plus.
Chaque soir, elle sort dans la cour, regarde les collines et le ciel immense.
Les mêmes gestes, les mêmes bruits, le même silence.

Un soir, son père la surprend dehors.
Tu vas attraper la mort, rentre donc.
Je ne veux pas finir ici, père.
Ici ? Où veux-tu finir, alors ?
Ailleurs.
Ailleurs, on a faim aussi, tu sais.
Peut-être. Mais au moins, on vit.

Il la regarde sans comprendre.
Partir, pour lui, c’est presque un péché.
Mais dans le regard de sa fille, il y a une détermination qu’il ne lui a jamais vue.


Quelques semaines plus tard, elle descend à Albi pour chercher une place.
Une dame recrute “une fille du pays pour servir à Marseille”.
Elle signe son nom d’une écriture tremblée.
Le Tarn reste derrière elle, avec la tombe de Joséphine et l’odeur du pain chaud.


Chapitre II — La ville du vent et du sel

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