Marie - Chapitre VII — La lettre de Savournon


 

Marseille, février 1875

Le matin est gris et froid. Dans la boutique, Jean essuie le comptoir. Il a replié les registres trop tôt, par superstition. Marie revient du marché, les mains rougies par le froid, un panier de poireaux contre la hanche.

Tu es en avance, dit Jean.
Il n’y avait plus d’ail au prix d’hier, répond-elle, posant le panier.
On s’arrangera.

On frappe à la porte. Le facteur tend une enveloppe brune, scellée d’un cachet grossier. Marie sent immédiatement que quelque chose va se briser.

C’est pour vous, madame, dit l’homme.
Merci.

Elle ne bouge pas. La lettre pèse plus lourd que sa main.
Lis, souffla Jean. Je suis là.
Elle déchire le bord, lentement. Les mots tremblent devant ses yeux : “Nous vous informons du décès de l’enfant, dite Clémentine, placée en nourrice à Savournon, le neuf février mil huit cent soixante-quinze…”

Le papier glisse, frappe le sol.
Non, murmure-t-elle.
Jean ramasse la lettre, lit jusqu’au bout, sans voix.
On… on peut aller là-bas, balbutie-t-il. Si tu veux, on prend la diligence demain.
Non.
Marie…
Si je pars maintenant, je ne reviens pas, dit-elle, la gorge serrée. Et toi, tu n’as plus rien ici.

Le silence envahit la pièce. Derrière la vitre, la rue roule sa vie indifférente.
Jean ouvre la bouche, la referme. Il pose sa main sur l’avant-bras de Marie, maladroit, respectueux.
On ne l’oubliera pas, dit-il enfin.
Non, répond-elle. On ne l’oubliera pas.

Le soir, elle allume seule la lampe à pétrole dans la petite chambre. Elle sort de sa poche un minuscule oiseau de bois — un cadeau de l’autre, avant. Elle le pose contre le mur, face au lit.
Dormir, petite, murmure-t-elle pour elle-même. Dormir, ma fille.

Le lendemain, elle retourne au travail comme si la ville n’avait rien su.


Chapitre VIII — Le fils

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