Marie - Chapitre VIII — Le fils
Septembre 1875
La chaleur d’été n’en finit pas. Dans l’arrière-boutique, on a posé une bassine d’eau et des draps propres. La sage-femme du quartier arrive avec un panier de linge plié.
— Respirez, maintenant. Voilà. J’y suis. Ça vient.
— Jean, halète Marie.
— Je suis là, dit-il, blême et transpirant. Tu peux me broyer la main, vas-y.
— Ferme la boutique, souffle-t-elle.
— C’est déjà fait.
Un cri neuf fend l’air, franc comme une lame qui trouve son chemin.
— C’est un garçon, sourit la sage-femme. Un beau garçon.
Elle pose l’enfant contre la peau de Marie. La tête ronde cherche, trouve.
— Il va vivre, celui-là, souffle Jean, comme une prière. Il va vivre.
— Comment on l’appelle ?
Marie regarde la fenêtre, le rectangle de ciel, la poussière qui danse.
— Étienne, dit-elle. Pour marcher. Pour tenir debout.
— Étienne, répète Jean, heureux comme un enfant.
Les jours suivants, la boutique sent le vin, les tonneaux, et le lait. Marie apprend la fatigue heureuse qui empêche de penser. Étienne dort la bouche ouverte, un point serré, l’autre main écartée comme s’il saluait la vie.
— Tu sais, dit Jean un soir, je ne sais pas faire grand-chose de bien. Mais tenir un enfant, je crois que je sais.
— Tu apprends vite, répond Marie dans un sourire fatigué.
Parfois, quand la nuit est très silencieuse, un souvenir traverse la poitrine de Marie : une odeur de montagne, un berceau qu’on n’a pas revu. Alors elle se lève, pose ses lèvres sur le front d’Étienne, écoute son souffle.
— Reste, dit-elle. Reste avec nous.
Chapitre IX — La chute et la mer

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