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Affichage des articles du octobre, 2025

Joséphine - Chapitre 8 — Sous le soleil de Mustapha

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Les années passèrent, légères et dorées comme la poussière qui flottait dans les rues de Mustapha . La petite maison blanche de Joséphine et Jean dominait la mer. Chaque matin, le soleil s’y glissait sans frapper, inondant la pièce d’une clarté chaude. Les volets s’ouvraient sur un jardin minuscule où poussaient des géraniums, quelques vignes maigres et un citronnier tordu. Les deux fillettes grandirent là, sous le regard aimant de leurs parents. Eugénie , l’aînée, fine et sérieuse, portait déjà dans ses yeux clairs quelque chose de sa mère : la douceur mêlée à une certaine mélancolie. Joséphine , sa cadette, vive, rieuse, plus téméraire, courait toujours pieds nus sur les dalles brûlantes, les cheveux emmêlés par le vent du large. Le matin, on les voyait descendre jusqu’à la fontaine avec un seau chacune, bavardant, riant, se disputant pour un rien. Les voisins les appelaient “ les petites d’Alsace ”, parce que leur père, dans un mélange de fierté et de nostalgie, racontait so...

Marie - Chapitre VIII — Le fils

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 Septembre 1875 La chaleur d’été n’en finit pas. Dans l’arrière-boutique, on a posé une bassine d’eau et des draps propres. La sage-femme du quartier arrive avec un panier de linge plié. — Respirez, maintenant. Voilà. J’y suis. Ça vient. — Jean , halète Marie. — Je suis là , dit-il, blême et transpirant. Tu peux me broyer la main, vas-y. — Ferme la boutique , souffle-t-elle. — C’est déjà fait. Un cri neuf fend l’air, franc comme une lame qui trouve son chemin. — C’est un garçon , sourit la sage-femme. Un beau garçon. Elle pose l’enfant contre la peau de Marie. La tête ronde cherche, trouve. — Il va vivre, celui-là , souffle Jean, comme une prière. Il va vivre. — Comment on l’appelle ? Marie regarde la fenêtre, le rectangle de ciel, la poussière qui danse. — Étienne , dit-elle. Pour marcher. Pour tenir debout. — Étienne , répète Jean, heureux comme un enfant. Les jours suivants, la boutique sent le vin, les tonneaux, et le lait. Marie apprend la fatigue heureuse qui e...

Marie - Chapitre IX — La chute et la mer

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  1877 L’hiver a laissé des dettes. Les clients paient en retard, les tonneaux ont tourné, et un mauvais lot de vin gâte les affaires. Les chiffres s’empilent sur les colonnes du registre, rouges au lieu d’être noirs. — On peut encore tenir jusqu’à la Saint-Jean , dit Jean, sans y croire. — On pourrait vendre l’arrière-salle , propose Marie. — Et on couche où ? Sur les tonneaux ? Ils rient tristement. Une lettre du tribunal claque comme une gifle : faillite . Jean s’assied, le dos contre la porte, et regarde Étienne qui pousse une charrette en bois de fortune. — Je n’ai pas su , murmure-t-il. — Tu as essayé , dit Marie. C’est déjà beaucoup. Le soir même, un voisin entre sans frapper. C’est le coiffeur de la rue Lafayette, celui qui signe sur les papiers quand il faut un nom. Il parle bas. — Il y a des départs, vous savez. Des familles qui s’embarquent. Pour l’Algérie. On dit qu’on y recommence tout. — Tout recommencer ? répète Jean. — On n’a plus rien à perdre , répon...

🌾 Les silences de Marie

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  🌾 Les silences de Marie Roman historique inspiré de faits réels « On ne part pas pour fuir. On part pour ne pas mourir là où l’on n’a plus rien à espérer. » Dans les collines du Tarn, au milieu du XIXᵉ siècle, naît Marie, fille de cultivateurs et cinquième d’une fratrie de neuf enfants. Lorsque sa sœur Joséphine meurt à dix-huit ans, Marie comprend qu’elle ne veut pas subir le même destin : vivre et mourir dans la même terre. Elle quitte tout pour Marseille — la ville du vent, du sel et des promesses. Cuisinière dans une maison bourgeoise du cours Lieutaud, elle découvre la liberté… et l’amour interdit d’un artisan marié. De cette relation naît un secret qu’elle devra cacher jusqu’à l’exil : une grossesse, un mariage de convenance, un enfant confié à une nourrice, un deuil muet. Mais la vie de Marie ne s’arrête pas là. À travers la honte, la perte et le courage, elle trace sa route, élève son fils et, des années plus tard, embarque vers l’Algérie — non pour fuir, mais pou...

Marie - Épilogue — La lumière blanche

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  (Années plus tard, Alger) L’après-midi chauffe doucement les murs blanchis à la chaux. Marie s’assoit devant la fenêtre ouverte. En bas, un vendeur ambulant chante d’une voix ronde. Étienne, devenu homme, porte une casquette de mécanicien et des mains d’huile et de sel. — M’man, je passe au port , lance-t-il. Je rentre avant la nuit. — Mange quelque chose , répond-elle. Tu deviens plus mince que ton ombre. — Je mangerai là-bas. Il claque la porte en riant. La pièce retrouve son calme. Marie ouvre un tiroir, sort une enveloppe vieille comme une branche sèche. La lettre de Savournon est toujours là. Elle la touche sans l’ouvrir, comme on poserait la main sur une pierre chaude. Puis elle saisit le petit oiseau de bois. Les ailes, à force d’être caressées, sont devenues lustrées comme du miel. — Je ne suis pas morte là-bas, Joséphine , murmure-t-elle, les yeux fermés. Je suis venue jusqu’ici, tu vois ? Le vent du large entre et soulève un coin du rideau. Au loin, la mer roule...

Marie - Chapitre VII — La lettre de Savournon

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  Marseille, février 1875 Le matin est gris et froid. Dans la boutique, Jean essuie le comptoir. Il a replié les registres trop tôt, par superstition. Marie revient du marché, les mains rougies par le froid, un panier de poireaux contre la hanche. — Tu es en avance , dit Jean. — Il n’y avait plus d’ail au prix d’hier , répond-elle, posant le panier. — On s’arrangera. On frappe à la porte. Le facteur tend une enveloppe brune, scellée d’un cachet grossier. Marie sent immédiatement que quelque chose va se briser. — C’est pour vous, madame , dit l’homme. — Merci. Elle ne bouge pas. La lettre pèse plus lourd que sa main. — Lis , souffla Jean. Je suis là. Elle déchire le bord, lentement. Les mots tremblent devant ses yeux : “Nous vous informons du décès de l’enfant, dite Clémentine, placée en nourrice à Savournon, le neuf février mil huit cent soixante-quinze…” Le papier glisse, frappe le sol. — Non , murmure-t-elle. Jean ramasse la lettre, lit jusqu’au bout, sans voix. — O...

Marie - Chapitre VI — La maison d’accouchement du boulevard Dahdah

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  1ᵉʳ juillet 1874 Le soleil tape sur la ville. Marie entre dans une grande bâtisse : 43 boulevard Dahdah . La sage-femme, en tablier blanc, l’accueille d’un ton doux. — Ne vous inquiétez pas, madame. Ici, on prend soin de tout le monde. Dans la chambre, elle entend d’autres cris, d’autres femmes. Quand l’enfant paraît, la sage-femme sourit : — C’est une fille. Marie ferme les yeux. — Clémentine , murmure-t-elle. Quelques jours plus tard, on lui apporte des papiers. “L’enfant sera confié à une nourrice, dans les Hautes-Alpes. C’est plus sûr, madame.” Elle signe, la main tremblante. Un fiacre passe, la porte claque. Le berceau est vide. Chapitre VII — La lettre de Savournon  

Marie - Chapitre V — Le mariage de février

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  3 février 1874 , mairie du 5ᵉ arrondissement. Le vent souffle fort. Marie tremble. Son ventre commence à se voir. Le maire lit d’une voix monocorde : “Aujourd’hui, le sieur Jean…, marchand de vin, et la demoiselle Marie…, cuisinière, sont unis par les liens du mariage...” Les témoins signent : le menuisier, le coiffeur. Clément ne dit rien. Le regard qu’il lui lance est à la fois tendre et perdu. À la sortie, Jean lui prend la main. — Tout ira bien, Marie. On va faire au mieux. Elle hoche la tête sans répondre. Chapitre VI — La maison d’accouchement du boulevard Dahdah

Marie - Chapitre IV — Le ventre lourd et la peur

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  Automne 1873 Marie compte les semaines. Elle ne dort plus. Clément vient de moins en moins. Un soir, elle ose : — Et si je te disais que j’attends un enfant ? Silence. Il regarde ses mains, puis le sol. — Je ne peux pas, Marie. J’ai une femme. Des enfants. Si ça se sait… — Et moi ? — Je t’aiderai. Je trouverai quelqu’un. Un mari, peut-être. Elle s’écroule sur une chaise. Le vent siffle entre les volets. Quelques semaines plus tard, une voisine lui parle d’un compatriote, Jean , marchand de vin, sans enfants. Marie accepte de le rencontrer. Il est poli, un peu maladroit. — Je viens de Boudoux, dans les Bouches-du-Rhône. On dit que vous êtes du Tarn ? — Oui. — On ne peut pas vivre seuls dans ce monde, vous savez. Elle sourit à peine. Elle pense à l’enfant qu’elle porte, à la honte, à sa mère qui ne doit jamais savoir. Chapitre V — Le mariage de février

Marie - Chapitre III — L’homme de la rue Sainte-Thérèse

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Un matin, en allant chercher du pain, elle croise un homme penché sur un portail, un tablier de cuir, les mains couvertes de sciure. — Attention, mademoiselle, la planche est lourde ! Il sourit, les yeux clairs. — Vous venez du nord, non ? Vous avez l’accent du Tarn. — Et vous ? — Monteux, Vaucluse. Pas si loin. Les jours passent, et elle le revoit souvent. Il s’appelle Clément . Il travaille dans un petit atelier de menuiserie au 10 rue Sainte-Thérèse . Un jour, il lui offre un morceau de bois sculpté : une colombe. — Pour te porter bonheur. — Je n’ai pas de place pour la garder. — Alors mets-la dans ton cœur, ça prend moins de place. Elle rit. Mais le soir, elle la cache dans sa poche. Les semaines deviennent des mois. Les regards se prolongent, les gestes se frôlent. Et un soir, sous la pluie, il l’attend à la sortie de la maison. — Je voulais te parler. — Ce n’est pas raisonnable, Clément. — Je sais. — Tu es marié. — Oui. Mais je ne peux plus t’oublier. Le ton...

Marie - Chapitre II — La ville du vent et du sel

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  Marseille, 1872 Quand le train s’arrête, le vent du port la gifle. Elle ne connaît personne. Autour d’elle, les cris des portefaix, les charrettes, les marins. Les mouettes tournent au-dessus des cheminées. Elle serre contre elle son baluchon. — Première fois à Marseille, ma fille ? demande un homme en blouse grise. — Oui. — Alors garde ton sac, ici, on a vite fait de te le voler. Elle marche jusqu’au cours Lieutaud , quartier neuf qui sent encore la chaux et le goudron. Une dame l’attend sur le seuil d’un immeuble : robe noire, col de dentelle, air sévère. — C’est vous, Marie ? — Oui, madame. — Vous serez à la cuisine. On dîne à sept heures, pas une minute plus tard. Le soir, Marie découvre la chaleur de la cuisine au gaz, les casseroles suspendues, les odeurs de vin et d’ail. Elle coupe, lave, range, jusqu’à ce que la dame lui dise : — Allez dormir. Demain, vous commencerez à six heures. Sa chambre est minuscule, sous les toits. De la fenêtre, elle voit les l...

Marie - Chapitre I — Les adieux

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  Ambialet, hiver 1871 Le vent traverse la vallée, soulève la poussière et frappe la porte de la maison de pierre. À l’intérieur, la flamme vacille dans l’âtre. Marie tient la main froide de sa sœur. Joséphine respire mal, sa poitrine monte et descend dans un souffle irrégulier. Le médecin est reparti depuis longtemps. — Bois un peu , murmure Marie, en approchant la cuillère. Mais Joséphine détourne la tête. Ses lèvres sont sèches, son regard déjà loin. — Tu sais, j’ai rêvé que je partais, moi aussi… dit la jeune fille d’une voix éteinte. — Tais-toi, ne dis pas ça. Tu vas guérir. — Non. Tu partiras à ma place, toi. Marie reste immobile, la cuillère suspendue dans l’air. Le silence tombe, juste troublé par le crépitement du feu. Dans la pièce voisine, leur mère pleure en silence. Quand le jour se lève, Joséphine ne respire plus. Et Marie, droite près du lit, sent qu’une partie d’elle vient de mourir avec sa sœur. Au printemps, la terre du Tarn se couvre de genêts. ...

Joséphine - Chapitre 11 — Chicago, le vin du souvenir

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  Le voyage dura des semaines. La mer, immense et grise, semblait avaler le ciel. Jean-Jacques passait des heures à regarder l’horizon, les mains serrées sur la rambarde du pont. Parfois, la nuit, il croyait entendre la voix de sa mère dans le vent : un murmure, une berceuse oubliée. Quand le navire entra dans le port de New York , il ne pensa pas à l’Amérique, mais à Colmar — à la terre sous ses ongles, au goût du vin jeune, à la maison silencieuse où il avait grandi. Il franchit le contrôle d’Ellis Island sans un mot. Sur le registre, il signa lentement : Jean-Jacques Wiederhirn, Alsace, 27 ans. Il prit ensuite le train vers Chicago , comme tant d’autres Alsaciens et Allemands avant lui. La ville l’accueillit avec son vacarme de machines, ses odeurs de fumée et de charbon. Ici, tout allait vite : les charrettes, les hommes, les saisons. Mais sous cette agitation, il sentit la même pulsation que dans sa terre natale : celle des travailleurs qui se lèvent avant l’aube et...

Joséphine – Les racines du courage

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Colmar, hiver 1853. À dix-sept ans, Joséphine Keyser cache un secret que son ventre trahit bientôt. Ouvrière de fabrique, fille d’un maçon venu d’Huttenheim, elle affronte seule les murmures et la honte d’une grossesse sans père. Trois ans plus tard, une seconde enfant naît — toujours sans nom paternel. Puis vient Jean Wiederhirn , un vigneron au regard doux, qui décide de l’épouser et de reconnaître ses deux filles. Ensemble, ils espèrent un avenir paisible. Mais le destin en décidera autrement : Joséphine mourra à trente et un ans, en donnant la vie une dernière fois. Ses enfants, orphelins, traceront chacun leur chemin : l’aînée partira en Algérie , le cadet traversera l’Atlantique , tandis que les racines de leur mère continueront d’unir les continents. C’est l’histoire d’une jeune femme oubliée, et d’une lignée façonnée par la perte, la résilience et le désir d’ailleurs. Partie I – Joséphine (1836–1867) : Le souffle du courage Chapitre 1 – Colmar, 1853 : Le secret À 17 ...

Joséphine - Chapitre 10 — Jean-Jacques, l’enfant de Colmar

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Il avait cinq ans quand sa mère mourut. Assez grand pour se souvenir de sa voix, pas assez pour en garder les traits. Dans sa mémoire, Joséphine restait une présence diffuse — une odeur de linge chaud, un chuchotement, une main posée sur son front. Après sa mort, la maison sembla s’être rétrécie. Les rires s’étaient tus. Son père, Jean Wiederhirn , ne parlait plus beaucoup. Le matin, il partait tailler la vigne, la besace sur l’épaule, et le petit Jean-Jacques le suivait parfois, courant entre les rangs, les bottes trop grandes, le nez rougi par le froid. L’enfant apprit vite que la vie d’un vigneron n’avait rien d’une chanson. Les hivers gelés, les étés trop secs, les mains qui saignent à force de nouer les sarments. Mais il aimait la vigne malgré tout — parce qu’elle sentait le père, la terre, et un peu la mère absente. À l’école, il n’était pas le plus brillant, mais le plus tenace. Il écrivait lentement, comme s’il voulait graver les mots dans la feuille. Souvent, l’ins...

Joséphine - Chapitre 9 — Marie-Louise, la sœur restée au pays

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Elle n’avait pas quitté Colmar. Quand sa sœur embarquait vers l’Algérie et que leur frère rêvait d’Amérique, Marie-Louise choisit le pavé familier, les saisons des vignes, la rumeur douce des marchés. À 21 ans , elle se maria — un âge où l’on croit encore que la vie se laisse apprivoiser. Son mari s’appelait Georges Voegelin . Il avait des mains sûres, l’allure des hommes qui travaillent sans bruit. Leur foyer s’installa non loin de la famille, à portée de pas de l’église et de la rivière. Les années, ensuite, furent pleines : cinq enfants vinrent rythmer la maison — Salomé , Barbara , Marie Caroline , Louise Marie et Marie Louise — autant de prénoms qui faisaient tintinnabuler la cuisine et courir les sabots dans la cour. Marie-Louise avait ce courage silencieux des femmes d’Alsace : lever le feu à l’aube, ourler une chemise, surveiller la soupe, calmer une fièvre, recoudre un genou de pantalon. Entre deux lessives, elle jetait un œil à la fenêtre, comme pour s’assurer que le m...

Joséphine - Chapitre 7 — Alger, la promesse d’un nouveau monde

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Quand elle quitta Colmar, Joséphine Wiederhirn n’avait guère plus de vingt et un ans . Une jeune femme aux mains calleuses, au regard doux et décidé, qui laissait derrière elle les vignes de son enfance et la tombe d’une mère morte trop tôt. Le bateau mit des jours à traverser. Elle resta sur le pont, silencieuse, fixant la ligne d’horizon — ce fil invisible entre ce qu’elle quittait et ce qu’elle espérait trouver. Quand le port d’Alger apparut enfin, baigné de lumière, ce fut comme un éblouissement. La blancheur des maisons, le parfum d’oranger, le brouhaha des langues mêlées. Tout semblait neuf, bruyant, vivant. Joséphine trouva du travail à Mustapha , chez une famille française. Elle lavait, cousait, s’occupait des enfants, économisant chaque sou pour louer une petite chambre sur les hauteurs. Pendant quelques années, elle vécut seule, fière et discrète. Mais la vie, comme toujours, n’avait rien d’un chemin droit. Elle tomba amoureuse. D’un homme de passage, ou peut-être ...

Joséphine - Chapitre 5 — L’hiver des berceaux

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L’année 1865 s’annonçait rude. Le vent descendait des Vosges, glacial, sec, mordant. Les feuilles mortes s’amassaient contre les murs, et les toits de Colmar semblaient plus sombres qu’à l’accoutumée. Dans la petite maison des Wiederhirn, la vie s’était ralentie. Depuis des mois, Joséphine sentait la fatigue peser sur ses épaules. Son corps, éprouvé par les grossesses, peinait à retrouver des forces. Mais elle ne se plaignait jamais. Chaque matin, elle se levait avant le jour, préparait la soupe, aidait Jean à nouer sa veste, embrassait les enfants encore endormis. C’était sa manière à elle de tenir, de lutter, de vivre. En janvier 1865 , elle mit au monde un petit garçon, Jean Michel . Un bébé fragile, au souffle court, à la peau pâle. Joséphine passa des nuits entières à veiller son berceau, écoutant sa respiration irrégulière, priant sans le dire. Mais au cœur de l’été, un matin chaud de juillet, l’enfant s’éteignit doucement, sans un cri. Le silence qui suivit fut terr...

Joséphine - Chapitre 3 — L’homme du vignoble

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Le printemps de 1859 fut d’une douceur inhabituelle. Les vignes autour de Colmar se couvraient de jeunes feuilles, et l’air sentait la terre mouillée et la promesse du vin à venir. Joséphine, désormais âgée de vingt-trois ans, marchait souvent le long des champs après son travail. Elle aimait ce moment de silence, quand les ouvrières se dispersaient et que le jour tombait lentement derrière les toits. Ce soir-là, elle le vit pour la première fois. Un homme penché sur une rangée de ceps, les manches retroussées, les mains noircies de terre. Il leva la tête, et leurs regards se croisèrent. Un instant suspendu. Pas un mot, juste ce léger hochement de tête, cette reconnaissance silencieuse de deux âmes simples et fatiguées. Il s’appelait Jean Wiederhirn . Vigneron comme son père, il vivait à quelques rues de là, dans une petite maison aux volets verts. Il avait trente ans, un sourire timide, des yeux bruns pleins de bonté, et cette façon calme de parler qui apaisait tout autour d...